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Posé par Eloi Ficquet sur la partie "L'inscription religieuse ou croyante" le mardi 12 mai 2020

Procédures d'installation et de consécration des églises orthodoxes de la diaspora éthiopienne américaine à Washington DC

Posé depuis le domino :

La disparition du Doigt de Dieu.

Mots clefs communs :

  • alliance, alliance
  • message subliminal, subliminal message

Il s'agit autant de se connecter à la face scripturaire du domino, qui rend compte d'une métaphorisation et de la référence aux Tables de la Loi par des penseurs chrétiens, que de rebondir sur la face visuelle, la statue de Michel-Ange où les Tables sont à la fois visibles, gardées par Moïse, sous son bras, tout en étant illisibles, car leurs faces inscrites sont posées l'une contre l'autre.

Une tête de lion, sculptée dans le bois, surmontant une paire d’ailes. Une chimère? Cette figure est fixée (par des vis à tête étoilée) à l’angle d’un meuble, cubique, une sorte de buffet. Aux trois autres angles, hors du champ de la photographie, un oiseau, un bœuf, et un homme, aussi flanqués d’ailes. Il s’agit de la figuration des quatre évangélistes. Sur trois des panneaux latéraux, trois épisodes de la Passion du Christ sont figurés en bas-relief dans des médaillons: les mains jointes en prière, coiffé de la couronne d’épine, en croix. Le dos du meuble est ouvert par deux portes ornées de motifs floraux.


L’arrière-plan de la photographie, flouté par la profondeur de champ, laisse voir un escabeau et le pan d’une bâche en plastique. Des travaux étaient en cours en octobre 2013 pour achever l’installation de l’église dénommée መካነ ሕይወት መድኃኒ ዓለም Mekane Heywot Medhani Alem (Lieu de Vie - Sauveur du Monde) dans une ancienne caserne de pompiers du quartier de Langdon au nord-est de la capitale fédérale américaine, Washington D.C.


Eglises de la diaspora éthio-américaine


Datant de 1908, ce qui lui vaut d’être classé comme monument historique, ce bâtiment patrimonial a été acquis et rénové par les financements et contributions bénévoles des membres de cette communauté chrétienne orthodoxe éthiopienne. En 2015, un prix d’excellence pour la protection du patrimoine a été décernée par la Municipalité de Washington.


Auparavant, sous le même nom paroissial, ce groupe cultuel se réunissait au domicile de l’un de ses membres, dans la 16e rue du nord-est, et louait la salle d’une église luthérienne pour les grandes cérémonies. D’autres communautés paroissiales parmi les chrétiens éthiopiens de Washington D.C. et ses environs ont ainsi installé leurs lieux de cultes pour la messe hebdomadaire dans différents types d’édifices: qu’il s’agisse de maisons particulières, voire de mobile homes, ou bien salles de prières, chapelles ou églises, le plus souvent protestantes, prêtées ou louées, généralement le samedi.


La caserne-église de Langdon présente une configuration particulière. Voici comment elle se présente dans son état achevé, tel que de nombreuses photographies de cérémonies mise en ligne sur les réseaux sociaux, combinées à mes propres photographies et observations, permettent de s’en faire une idée. Les services paroissiaux (salle de catéchèse, cuisine de restauration collective) se trouvent au rez-de-chaussée que peu de fenêtres ouvrent, lui donnant l’apparence d’un sous-sol. La salle dédiée au culte occupe l’étage. Sous une haute charpente apparente, la pièce est inondée de lumière par des grandes fenêtres. L’organisation de l’espace cultuel correspond au plan basilical rectiligne devenu le nouveau modèle de construction des églises en Ethiopie depuis le règne du Roi des rois Hayle Sïllasé (r. 1930-1974) en rupture avec la disposition circulaire caractéristique des églises éthiopiennes classiques (voir l’article de Stéphane Ancel, 2017). Des travées de bancs sont disposées de part et d’autre d’une nef, celles de droite étant réservées aux femmes, celles de gauche aux hommes (sans que cette règle ne soit absolue). Une estrade haute de trois marches, couverte de tapis précieux, marque l’espace réservé aux officiants du culte (dit qïddïst). Une cloison élégamment édifiée en briques et linteaux de bois, sorte d’iconostase, marque la séparation de la chambre du sanctuaire (dit mäqdäs), strictement réservée aux prêtres, où ils procèdent à la consécration de l’eucharistie. Cette cloison comporte trois passages, celui au centre étant le plus large, tous fermés par des rideaux. Je ne sais pas si dans son état achevé les fenêtres de cette salle, sur la façade arrière du bâtiment, orientée vers l’ouest, sont habillées de rideaux ou si elles laissent passer la lumière. Il est probable qu’elle soit tenue à l’abri de l’extérieur.


La portabilité du sacré


L’état transitoire et encore profane de presque-achèvement de cette église quand je l’ai visitée et photographiée, offrait une visibilité particulière sur des lieux et des objets d’ordinaire dissimulés au regard des laïcs, en particulier s’ils sont étrangers. C’est le cas du meuble visible au premier plan de la photographie présentée en ouverture de cette description condensée. Il s’agit d’un tabernacle, menbere tabot, littéralement le « siège du tabot ». Ce meuble qui occupe le centre de la chambre du sanctuaire est destiné à conserver le tabot, plaque de bois ou de pierre gravée à l’effigie et au nom d’une figure sainte, donnant son nom à l’église. Le même terme de tabot, dont l’étymologie araméenne antique réfère à un coffre, désigne l’Arche d’alliance. Selon le mythe national éthiopien, cette relique principielle est conservée dans l’église Sainte Sion de la cité d’Aksum depuis qu’elle y a été déposée par le premier roi d’Ethiopie, Mïnilïk, le propre fils que la Reine de Saba eut du Roi Salomon. Par extension, ce terme désigne la réplication des Tables de la loi, sous forme de tablettes qui confèrent à chaque église sa sacralité, aux noms de figures saintes issues des Ecritures ou de l’histoire religieuse. Une église peut conserver plusieurs tabot dans son tabernacle ou menbere tabot, mais un seul donne son nom à l’église. Seuls les prêtres sont habilités à les voir et les toucher. Dans la liturgie ordinaire, le tabot associé au tabernacle constituent l’autel sur lequel le rite eucharistique est préparé. Les figures saintes attachées à une paroisse, font l’objet de grandes cérémonies annuelles. A cette occasion, les tabots sont portés en procession par les prêtres, sur leurs têtes, protégés des regards par d’épais et précieux brocarts qui rehaussent et magnifient aux yeux des fidèles leur forme rectiligne.


Dans l’état achevé de l’église Mekane Hiwot Medhani Alem de Washington D.C., le menbere tabot peut être aperçu quand le rideau est ouvert à différentes phases de la célébration de la messe, notamment pour présenter aux fidèles le corps du Christ. La partie haute du meuble est nettement visible, en tout cas sa face tournée vers l’assistance. La partie basse est couverte d’étoffes colorées. Deux des figures d’angles en ressortent, l’homme représentant Saint-Matthieu et le lion de Saint-Marc, celui-là même pris en plan rapproché. La photographie ne révèle donc rien d’interdit au regard, mais en donne une vue inédite. Quand j’ai fait cette photographie, la consécration de l’église n’avait pas encore eu lieu, le tabot n’y était pas installé. L’église n’était encore qu’un bâtiment dépourvu de présence divine, et le menbere tabot un meuble presque ordinaire. Dans le contexte de la diaspora éthiopienne, où l’église comme bien immobilier n’appartient pas à l’institution ecclésiastique, mais à la communauté, une entière liberté me fut donnée pour photographier les lieux, en particulier le meuble sous tous ses angles.


Des reliques au second degré


En plus de cette investigation visuelle, j’apprenais de mes interlocuteurs que le meuble était arrivé d’Addis Abeba depuis quelques jours seulement, transporté à titre grâcieux par la compagnie Ethiopian Airlines. Il venait d’être déballé. Sur la photographie, derrière l’escabeau, dans le floutage de l’arrière-plan, on peut apercevoir sous la bâche en plastique la partie haute du meuble, formant une coupole soutenue par quatre colonnades. Ce mobilier sacré avait été réalisé sur le même modèle et par le même sculpteur que celui installé dans la grande cathédrale du même nom, Medhani Alem, dans le quartier de Bole, au sud d’Addis Abeba, dont la construction avait débuté en 1993, qui fut consacrée en 2004 et qui s’enorgueillit d’être la seconde plus grande église d’Afrique, après la cathédrale de Yamoussoukro. Dans le même ordre d’idée, on m’expliquait que les peintures ornant les murs, entre chaque fenêtre, sont l’œuvre d’un peintre originaire d’Aksum, la cité sainte du christianisme éthiopien.


Pour l’Eglise orthodoxe tewahïdo éthiopienne, l’adhésion à l’universalité chrétienne est conçue à travers la construction et l’entretien d’une suprématie spirituelle concentrée sur le territoire national, et ce d’autant plus que le lien originel avec l’Eglise copte égyptienne a été rompu dans les années 1950. La migration et la dispersion de communautés à l’étranger sont des phénomènes récents, remontant à moins de quarante ans. Les tiraillements que génère l’autonomie prise, jusqu’à la dissidence, par les communautés diasporiques, sont atténués par des liaisons concrètes constamment maintenus avec les pôles de l’Eglise-mère, par la circulation des prêtres, et par la production et l’usage des objets cultuels.

De même que les lieux saints d’Ethiopie sont fondés sur les récits de déplacements de reliques majeures de l’histoire sainte, les églises fondées par les communautés diasporiques dépendent de l’importation d’objets cultuels fabriqués en Ethiopie. Ces « reliques au second degré » participent à des processus de transfert et recharge de sacralité, qui contribuent fortement à officialiser, légitimer et pérenniser la fixation des communautés d’Ethiopiens immigrés sur leurs territoires d’accueil, exerçant en retour d’importantes transformations sur l’Eglise et son organisation en Ethiopie même. Mais c’est un point qui nécessiterait de poser un domino supplémentaire…

  • conservation
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  • lettre cachée
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