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Posé par Pauline Monteiro sur la partie "L'inscription religieuse ou croyante" le mercredi 30 septembre 2020

Chercher son authenticité dans l'incorporation de ses entités

Posé depuis le domino :

Entre technique religieuse et vecteur de savoirs :

Mots clefs communs :

  • réseaux sociaux
  • nouveaux mouvements religieux
  • matérialisation du divin

Les réseaux sociaux sont fondamentaux pour les nouveaux mouvements religieux - ils participent à la consommation d'émotions liée à ces formes de pratiques New Age/Self-Help ainsi qu'à la construction d'un "moi" mis en récit sur les groupes facebook, mis en scène sur instagram, validé par les pairs et consommé par l'individu. "Matérialisation du divin" ici renvoie à cette photo prise à la maison mère de São Paulo où j'ai pu comprendre ce que de nombreux médiums autrichiens, suisses, belges et français m’avaient expliqué vis-à-vis de leur ressenti concernant le Brésil. Face à cet autel fabriqué par l'un des médiums pour l'orixá Ogum (dieu guerrier), j’ai fini par saisir la relation entre le « ici » (le substitut en Europe) et le « là-bas » (le « vrai », l'authentique) qui coïncide avec l’imaginaire porté par les occidentaux sur un Brésil ensoleillé, coloré, à la végétation luxuriante où « les énergies sont plus fortes ». La mise en scène de la maison mère concrétise cet imaginaire grâce à des jardins exotiques et une esthétique portée vers les arts brésiliens dont je présente ici un échantillon.

L’umbanda est une religion afro-brésilienne connue pour sa plasticité ontologique, ce qui lui a permis dès les années 1970 de s’implanter rapidement et durablement en Europe. Mon propre terrain d’étude se concentre sur le Temple Guaracy, un groupe d’umbanda créé en 1974 à São Paulo dont la particularité réside à la fois dans son organisation digne d’une start-up transnationale mais aussi dans sa philosophie qui entremêle des traductions New Age d’éléments liés à la culture afro-brésilienne à une liturgie imprégnée de techniques de Self-Help. Ainsi, dans le discours du Temple, « maîtriser » ses entités au fur et à mesure de ses initiations revient à se connaitre soi-même, à savoir s’auto-gouverner dans le but de s’aider soi-même et les autres (le dernier grade initiatique consiste à donner des consultations aux personnes venues assister aux rituels).

En observant davantage le lien entre cette forme d’umbanda New Age/Self-Help et les sociétés dans lesquelles elle est implantée (Europe centrale et Brésil), il est aisé de comprendre que les individus sont séduits par l’idée de pratiquer une religion exotique qui pourrait les aider à augmenter leur capital culturel et émotionnel. Ainsi, au travers d’une philosophie présentant le travail médiumnique comme un moyen de trouver l’équilibre émotionnel et le bien-être, l’umbanda guaracyenne offre à ses adeptes la possibilité d’augmenter des soft skills telles que l’intelligence émotionnelle ou encore le contrôle de ses émotions - des skills favorablement évaluée (et même recherchées) dans l’idéologie néolibérale.

Il est cependant important de préciser que le New Age et le Self-Help sont deux mouvements nés aux États-Unis durant les années 1960. De fait, leur matrice commune leur fournit des caractéristiques similaires : une sacralisation des valeurs néolibérales (l’authenticité, la liberté, la responsabilité personnelle, être positif, le « soi » comme valeur, un objectif définit consistant à « se transformer pour transformer le monde », des techniques de développement basées sur l’ego-psychology (ou psychologie néo-freudienne) qui rejettent le déterminisme freudien et se rapprochent d’une représentation nord-américaine de l’individu qui doit forger son propre destin. Ces techniques de psychanalyses consistent à laisser le patient faire des associations libres, sans jugement, d’images et d’émotions. Le praticien intervient peu (écoute flottante), laissant le patient guider les séances.


Cependant une autre des prérogatives sociales liées au néolibéralisme, et qui se trouve dans les offres Self-Help/New Age, est fortement recherchée par les médiums du Temple : trouver sa propre authenticité.

Ainsi, pour les médiums du Temple Guaracy, incorporer ses entités c’est aussi pouvoir construire son moi authentique grâce aux « émotions vraies » que procurent le rituel et le travail médiumnique.

Pour affirmer cette authenticité, les initiés mettent un scène un moi romantisé au travers des récits thérapeutiques qu’ils s’échangent lors des réunions en dehors du Temple ou qu’ils partagent sur des groupes (forums, réseaux sociaux). Les réseaux sociaux (majoritairement Instagram et Facebook) servent également à la mise en image de leur moi authentique au travers de photos mises en ligne. Cette égo-consommation fait redondance avec la manière dont les médiums comprennent leurs entités : des facettes d’eux-mêmes qu’ils consomment lors des rituels ou lors de leur vie quotidienne au travers d’achats divers. Car il faut garder à l’esprit que l’authenticité est une affaire de subjectivité (le médium ressent sa propre authenticité lorsque qu’il incorpore son entité) et de validation par les pairs (qui jugent si l’incorporation est authentique) mais elle est aussi l’effet d’un marketing. L’umbanda guaracyenne est, au même titre que le tourisme, un lieu où s’entremêlent marchandisation, mise en scène de l’authenticité (la décoration du Temple, les tenues des médiums, les chants, etc) et expériences authentiques. Les umbandistes de ce groupe vont consommer des objets profanes (dans lesquels j’inclus des objets immatériels comme les applications mobiles ou les réseaux sociaux) pour augmenter l’authenticité de leur entité et augmenter leur propre authenticité. Les voyages initiatiques à la maison mère brésilienne, et les « émotions vraies » que les européens y consomment en incorporant leurs entités parachève cette construction d’un moi authentique.

Il faut considérer que les médiums ne sont pas différents des touristes ou des personnes allant au cinéma car ils viennent chercher ce qu’Anne Friedberg (1993) nomme les commodity-experience c’est-à-dire le résultat d’une marchandise intangible consommée par le « consommateur-spectateur » au travers d’une esthétique créant un effet subjectif. L’umbanda guaracyenne propose donc des emodities (Illouz 2007) c’est-à-dire des « marchandises émotionnelles » créées grâce au nœud forgé entre les émotions et l’acte de consommation. C’est sur cette forme de consommation, basée sur la construction et le partage de récits thérapeutiques, d’une romantisation de soi, d’incorporations créant le sentiment de consommer des « émotions vraies » ainsi qu’une esthétique exotique/authentique, que le moi authentique sera construit.


Ainsi, l’inscription religieuse ici se joue dans le corps des pratiquants au travers de leur propre production et consommation d’émotions. Cette inscription, au travers des incorporations, peut se lire dans une logique de don/contre-don, c'est-à-dire qu’en « prêtant » son corps à une entité, le médium attend de recevoir des émotions authentiques, de pouvoir construire un moi authentique et, pourquoi pas, de mettre tous les atouts de son côté pour convoiter une meilleure position sociale, avoir de meilleures relations interpersonnelles et consommer un sentiment de « bien-être », grâce au travail qu’il aura fournit sur lui-même au travers de ses incorporations.



Friedberg, A. 1993, Window shopping : cinema and the Postmodern, University of California Presss

Illouz, E. 2007, Cold intimacies : the making of emotional capitalism, Polity Press


Notes :


  1. Le vocable travail employé par les initiés pour désigner leur activité médiumnique mais aussi, dans un sens plus large, la manière dont ils vont apprendre à modifier certains traits de leurs personnalité ne correspondant pas à leurs objectifs de « nouveau moi » (par exemple, ce « nouveau moi » devra être plus tempéré ou plus sociable).
  2. Je définis l’égo-consommation (self-consumption) par l’auto-production et la consommation de produits émotionnels directement liés au « moi » - le selfie (ou « ego-portrait ») est un exemple d’ego-consommation, au même titre que la consommation d’applications possédant des bulles algorithmiques (Instagram, Facebook, Tik Tok, Tumblr, Pinterest).
  3. Emodities : contraction entre « emotions » et « commodities » (marchandises).



  • Authenticité, Incorporation, Néoliberalisme, Self-Help, New Age
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