Se connecter

Posé par Caroline Callard sur la partie "L'inscription religieuse ou croyante" le mardi 07 avril 2020

Paragraphie et paronymie d’un crime religieux

Posé depuis le domino :

Mieux vaut s’adresser à ses saints qu’au Bon Dieu Ex voto du 4 octobre 1831

Mots clefs communs :

  • authentification
  • écriture

Parce qu'il est question de graphie et de faux dans le domino que je propose.

Les Annales toulousaines et le récit de la mobilisation catholique en 1576

Au cours des guerres de religion, le parlement toulousain se distingue par son intransigeance catholique. Le pouvoir municipal est doté d’un office d’Annaliste qui recueille la mémoire de la mobilisation des catholiques dans la ville. La chronique de l’année 1576 fait une large place à la crainte suscitée par les armées protestantes, très actives dans la campagne environnante, mais relate aussi quelques affaires de droit commun. Elles sont introduites par de longs préambules délivrant des leçons de morale chrétienne, où la justice divine triomphe sous la forme d’un châtiment tant divin que temporel.

Deux affaires criminelles sont rapportées au cours de cette année. La première concerne une affaire d’assassinat commis à des fins de vols et dont les responsables ont cherché à escamoter le cadavre, enterré dans une étable. L’un des coupables avoue le crime sous la torture, menée à côté du cadavre de la victime – version hybride de l’épreuve médiévale de la « cruentation » par laquelle le cadavre devait se mettre à saigner en présence de son assassin. Le second cas n’est pas un archaïsme mais une rareté juridique : une femme a simulé l’enterrement de sa propre fille afin de disposer de l’argent que le père de celle-ci lui avait légué à sa mort et qui, jusqu’à sa majorité, était administré par un conseil de tutelle. La mère a confectionné un mannequin en tissu rembourré d’étoupe qu’elle a placé dans un cercueil de sapin recouvert d’un linceul. Seules dépassent les petites chausses de l’enfant. Une veillée funèbre est organisée avec les voisins ; lle lendemain, une messe haute est célébrée et le cercueil est enterré dans la basilique Saint Sernin, près du grand autel. Pendant tout ce temps, l’enfant, bien vivant, a été confié à son oncle, maréchal-ferrant à Gardouch dans le Lauragais voisin.

Corps fainct/corps saint : paragraphie d’un crime religieux

Rapidement, le pot aux roses est découvert. Au-delà du détournement d’héritage, ce que les juges reprochent à la mère de l’enfant, c’est « l’illusion irreverente et contemnement [mépris] aux cérémonies de notre saincte mère Églize catholique Apostolique et Romaine ». Le fait que le rite catholique de l’enterrement, avec messe, prière et aspersion ait pu être adressé à un mannequin de chiffon présente en effet des similitudes troublantes avec les actes iconoclastes protestants. Quel statut donner aux messes dites sur un cercueil non seulement vide, mais contenant un « corps fainct » ? L’inquiétude générée par ce qui ressemble à un détournement du rituel se manifeste aussi dans la paronymie des termes « corps saincts » et « corps faincts », paronymie redoublée par la paragraphie du temps qui ne permet de distinguer le f du s que par l’ajout d’un mince tiret. Le corps saint désigne, dans le reste du récit de l’annaliste, l’eucharistie, soit le lieu où se fonde le caractère inconciliable des doctrines catholiques et protestantes. Le jeu avec le corps – feint, substitué, supposé –, qui est aussi un jeu avec les mots, fait peser un danger mortel sur la communauté participante catholique, otage involontaire de la supercherie.

Disparition du vrai corps de la mère

Ce que l’annaliste toulousain révèle, par sa graphie, par l’inscription de la forme du délit, c’est bien l’étendue d’un crime religieux dont la justice peine à dessiner les contours. La sentence témoigne de cette difficulté à le caractériser : la mère est finalement condamnée à faire amende honorable la « hard au cou » en la basilique saint Sernin et elle est déchue de ses droits maternels. La justice acte de cette façon qu’un corps a bien disparu, qui n’est pas celui de l’enfant mais celui de la mère, ce corps là qui n’était pas « fainct », mais bien réel.


Bibliographie :

Caroline Callard, Le temps des fantômes. Spectralités d'Ancien Régime, Paris, Fayard, 2019.

Christiane Klapisch-Zuber, « Les Saintes poupées : Jeu et dévotion dans la Florence du Quattrocento », dans Les Jeux à la Renaissance, Paris, Vrin, 1982.

Pierre-Jean Souriac, Une guerre civile. Affrontements religieux et militaires dans le midi toulousain (1562-1596), Seyssel, Champ Vallon, 2008.


Illustration:

Toulouse, Archives municipales, ms BB275, fol 193-194.

  • authentification
  • écriture
Télécharger ce document
  • écriture
  • cadavre
  • faux
  • funérailles
  • guerres de religion
  • mannequin

Les dominos connectés à ce domino :

La présence dans l’absence

Mots clefs communs :

  • cadavre
  • faux
  • funérailles

Le cadavre et son absence, une tombe fictive et les funérailles des corps non identifiés, sont au centre d'un culte émergeant aujourd'hui autour de l'un des martyrs contemporains en Iran. Ce domino en raconte un bref résumé.