Mieux vaut s’adresser à ses saints qu’au Bon Dieu Ex voto du 4 octobre 1831

Le temps de l’inscription

Le 4 octobre est probablement la date de la déposition du tableau dans le sanctuaire. L’ex voto est donc fait lorsqu’il est déposé. L’objet déposé se confond ainsi avec l’acte de la déposition. C’est par conséquent cet acte qui est inaugural, et non pas l’événement qui lui donne lieu, le naufrage évité par la médiation de « Notre Dame ». L’ex voto conclut, mais il ouvre en même temps un nouveau cycle, et c’est dans ce cycle que viendra s’inscrire la vie du tableau : d’une part la réécriture de l’inscription primitive, lors d’une restauration qui est aussi une forme de réactivation, ce dont les autres inscriptions témoignent : celles-ci ne se fondent plus du tout sur le naufrage, mais sur le tableau dans sa vie propre, sur lequel s’articulent de tous autres vœux, nullement gratulatoires mais au contraire propitiatoires : « Faites-moi la grâce de… », « faites que… ». Le temps du tableau compose ainsi une temporalité complexe dans laquelle ce qui relève de la grâce reçue se joint à des grâces implorées. La multiplication des inscriptions rythme ce temps. La plage fait une sorte de basse continue, plage d’avant le naufrage, plage d’après, emplacement du sanctuaire lui-même sur le rivage.

Le contrat votif

Mais à qui tout cela est-il adressé ? A « Notre Dame » ou « Sainte Vierge ». C’est elle qui nous apparaît, à nous qui regardons le tableau, les cinq hommes lui tournant le dos mais ayant – leur tableau en fait foi – invoqué Notre Dame pendant le naufrage de leur barque. A cet égard, le contrat est rempli : les hommes ont demandé grâce à leur sainte (Notre Dame de Bon-Port, la Vierge d’ici), ils l’ont reçue et ils lui ont offert ce tableau en forme d’acquittement de leur dette. Fin de partie. Mais la Vierge n’est jamais seulement d’ici et le contrat, à durée indéterminée celui-ci, relance la demande : ce sont les autres inscriptions, face à la Vierge de là-haut et de partout, ou plus précisément d’ici (nous sommes toujours dans le sanctuaire) et de toujours, dans l’espace-temps de l’éternel. Le contrat chrétien est un acquittement différé jusqu’au dernier jour, et cependant morcelé dans une série de contrats successifs, que les saints engrangent, et qu’ils présenteront devant Dieu, le moment venu.

Bibliographie :

Colette et François Boullet, Ex voto marins, Ouest-France, 1996, p. 101.

Pierre Antoine Fabre et Bernadette Roberjot, « La langue de terre dans les tableaux marins », Pietas, Munster, Compuctus Druck Satz & Verlag, 2019, p. 93-108.